Où l’on apprend que Greyhound (la SCAL locale) recrute ses chauffeurs parmi les recalés de la filière F1, que Marine One peut fondre sans autre forme de procès sur l’innocent touriste isolé dans la jungle urbaine et que les frappes chirurgicales des petites phrases de la Présidentielle font des dégâts collatéraux jusqu’en terre québécoise.
Vous ne vous êtes jamais demandé quels étaient les signes qui permettent de savoir avec certitude que vous êtes aux Etats-Unis ? Vous devez vous dire « Tabarnac, l’est complét’ment focké dans sa tête ct’astie d’Français ! » (en québécois dans le texte). Il a bien du passer la frontière ce crétin. Effectivement, en soi c’est un indice plus que flagrant. L’officier de la police américaine qui vous prend à froid à coup de « Next ! », de « Fill the french form, you fucking froggie ! » et de « Give me your six dollars tax ! No we don’t take the canadian dollars, only american or visa ! » au cœur de la nuit alors que vous tentiez d’atteindre le second stade du sommeil, plié en position fœtale sur le siège raide d’un bus fatigué, ne laisse aucun doute sur la destination envisagée. Le remplissage méticuleux du questionnaire aberrant sensé garantir la moralité et les bonnes intentions de l’immigrant temporaire chez l’Oncle Sam aussi. Les Américains sont les seuls à avoir l’esprit suffisamment tordu pour croire en la bonne foi spontanée des terroristes potentiels, qui pris de remords soudains avoueraient tout.
Mais ma question de départ portait plutôt sur l’American way of life. Comment fait-on la différence entre le mode de vie canadien et l’américain, quand la bouffe est la même, les villes sont construites sur le même modèle du quadrillage systématique et que des deux cotés de la frontière on développe un goût immodéré pour les gros pick-up bois sans soif.
Je vais vous dresser ici une liste pour vous permettre de savoir au premier coup d’œil si vous avez mis les pieds en terre yankee.
Si vous êtes perdu et que :
- « God bless America » est inscrit sur des camions poubelle (véridique)
- Des bronzes de Botero d’une valeur inestimable sont exposés dans le hall d’un centre commercial
- Qu’il fait jour en pleine nuit
- Le trafic routier est composé à 90% de taxis jaunes qui tentent d’avoir votre peau à la moindre intersection
- Les oisifs du lundi affalés dans l’herbe ne daignent pas jeter un regard à l’hélicoptère présidentiel et son escorte militaire qui survolent en rase-motte le parc où il compte atterrir
- Des cohortes de traders alignés en rangs serrés avalent leur lunch sur le pouce en costard Boss au pied de tours sans sommet
- La ville est infestée de Français
- Les Levi’s coûtent moins cher que l’eau minérale
- Les touristes de passage viennent se recueillir sur un immense trou d’où n’émergent que des grues au cœur de la jungle urbaine
- Des gens piquent un roupillon affalés sur la poussette de leur progéniture en pleine rue sans que personne ne s’en émeuve
- Des hommes sandwichs hirsutes, puant l’alcool vous forcent la main pour aller assister à un spectacle de danse contact dans un bar crasseux
vous avez toutes les chances du monde d’être paumé dans New York. Attention toutefois, le fait qu’il fasse jour en pleine nuit n’est pas en soi une caractéristique de New York. Selon le période de l’année, le phénomène peut se constater à Tromsö..
Mais revenons-en au départ en tant que tel. Lucas et Vinh ont géré l’achat des billets de bus (le réseau ferré est moins développé ici que dans le Nord-Pas-de-Calais), et après avoir attrapé la caissière par le colbac pour lui expliquer sans autre forme de ménagement que non, nous n’avions pas énormément d’argent à consacrer au voyage et que oui, nous savions dans quelle école primaire sa fillette étudiait, nous obtenions un tour Montréal –New York-Boston Montréal pour le prix d’un Gardanne-Aix-en-Provence tarif 12-25 en Prem’s.
Le lundi soir sur les coups de 23h, nous nous retrouvons à la gare routière de Montréal face à l’un des engins chromés de la célèbre compagnie de transport Greyhound. C’est dans ces moments là que l’on effleure le rêve américain.
Lucas nous l’assure, le voyage sera des plus confortables. A l’entendre, le lévrier gris n’a pas grand chose à envier aux limousines qui déversent leurs flots de bourgeoises minijupes devant l’entrée des boîtes à 30 dollars l’entrée. « Mon père l’a pris quand il était jeune, il m’a dit que côté confort ça assurait ». Probablement avait-il eu la chance d’éviter les amortisseurs fatigués et les assauts répétés du chauffeur sur l’accélérateur. Bob, le maître du volant, frustré d’avoir du renoncer au siège à baquet, tente de se rattraper au quotidien en charriant des dizaines de touristes attirés par les feux de Manhattan. A peine les portes du bus sont elles fermées que Bob se sent pousser des ailes. Sentiment que ne partage pas sa monture. Le résultat consiste en une succession de soubresauts du moteur tousseteux, du plus mauvais effet pour la colonne vertébrale du voyageur et un coup de pression au moindre virage qui daigne se dresser en travers de notre route. Rajoutez à cela un groupe d’étudiants français tout droit sortis de la sorbonne ave leur pull en cachemire sur l’épaule, tellement excités de vivre leurs premières vacances sans père et mère qu’ils entreprennent de vider les piles de leur appareil photo numérique en prenant des dizaines de clichés au flash et vous aurez une idée assez précise du calvaire que nous avons du endurer.
Le sommeil déjà délicat à trouver dans un tel contexte se trouve régulièrement troublé par le son des pneus qui mordent la bande d’arrêt d’urgence, laissant penser que le chauffeur s’assoupit. Ce qui serait du plus mauvais effet, puisque aussi loin que je me souvienne, nous doublons des kilomètres de voitures et de camions qui semblent rouler à la vitesse autorisée, mais aucun de ceux qui partagent le bitume avec nous, ne nous est passé devant.
Seule la frontière semble pouvoir arrêter notre implacable marche en avant.
Je vous ai déjà un peu décrit cette étape inoubliable. Sachez simplement qu’il ne vaut mieux pas s’appeler Youssef. Les douaniers US auront toutes les peines du monde à croire que vos n’ave pas un quelconque lien familial avec Ben Laden.
Vous décrire New York et Boston serait trop long dans cette note. J’y procéderai donc dans un prochain texte.
Sachez simplement qu’en ce jour de deuxième tour de l’élection présidentielle, j’ai l’estomac noué et que je vais écrire deux articles pour un site d’information qui se lance à quelques heures des résultats en France : Rue89.com. La paternité de ce nouveau média revient à quatre anciens journalistes de Libération (Pierre Haski et Laurent Mauriac entre autres).